mercredi 1 novembre 2006

Toussaint


Est-ce ainsi que les hommes vivent?

Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.

Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.

C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

Dans le quartier Hohenzollern
Entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.

Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.

Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu.

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.

Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton cœur
Un dragon plongea son couteau

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.

Louis Aragon

20 comments:

Anonyme a dit…

Merci pour la photo de vigne vierge et surtout pour ce moment passé avec Aragon. On peut ne pas avoir toujours été d'accord avec certains de ses choix, mais quel poète merveilleux. Merci à toi de nous le rappeller que c'est un poète majeur du siècle dernier.

Anonyme a dit…

MERCI ......!

Papilles et Pupilles a dit…

J'en frissonne

Anonyme a dit…

merci pour ces mots, ces mots vrais... toutefois j'aime bien la simplicité de votre blog, ce qui en fait son luxe; j'ai apprécié votre voyage dans les iles bretonnes et vos recettes basques... fidèle lectrice, je suis.

maloud a dit…

Merci

Anonyme a dit…

Je connais moins la version chantée de ce poème par Léo Ferré mais celle par Lavilliers fait partie de mes préférées.

Merci Gracianne.

Gracianne a dit…

Tiens, moi c'est plutôt Ferré que j'avais dans la tête depuis ce matin, mais c'est vrai que Lavilliers l'interprète bien aussi.

Alhya a dit…

je rentre à peine, et je lis ça.... merci...

Anonyme a dit…

Ces quelques vers, je les avais oublié. merci pour cet instant ...

Pomme Pomme Girl a dit…

Gracianne,
j'apprécie enormément
merci

Hélène Picken a dit…

Merci pour ce poême d'Aragon, j'avais presque oublié.

Anonyme a dit…

Merci de me rappeler que j'aodre les écrits de Louis Aragon.

Merci.

Anonyme a dit…

Dis ma Gracianne....
on etaient toutes les 2 dans le spleen ce jour là....

Mils Bizsssssssssss
Isabelle

Elvira a dit…

C'est beau, mais si triste...

pocah a dit…

J'm beaucoup Aragon... Ce poeme me fait penser a la personne qui m'a fait decouvrir ce grand poete et son mouvement... Merci Gracianne :o)

Anonyme a dit…

Je n'ai pas toujours accroché avec Aragon, d'un point de vue strictement littéraire, rien à voir avec ses idées politiques, mais certains interprètes parviennent à exalter en lui ce que je ne suis pas capable d'y trouver, et de le faire découvrir, c'est bien. Merci à toi de nous le proposer.

Anonyme a dit…

Ce poème me fait penser aux "damnés" de Visconti: pas facile, polémique, décadent, surtout triste et sans espoir possible, typique du souvenir nécessaire d'une journée de toussaint.

Gracianne a dit…

C'est drôle, je n'aurais jamais pensé que ce poème allait susciter autant de commentaires. Je n'ai pas réfléchi ce jour là au pourquoi du comment. J'avais les vers et la musique dans la tête, "on avait mis les morts à table", ça allait bien avec la journée, les feuilles jaunissantes, alors je l'ai publié. La poésie, chacun y trouve ce qu'il veut.

Anonyme a dit…

et bien je craque aussi pour ton choix de poésie en ce jour où l'on fête les morts. J'ai une pensée pour les miens et pour tous les interprètes du poème mis en musique par Ferré : notamment Monique Morelli et Philippe Léotard qui en avait fait quelque chose d'incroyablement poignant.
A découvrir si ce n'est déjà fait...Merci merci.

Gracianne a dit…

Ah Lili, merci de nous faire profiter de ta culture musicale. Je ne connais pas la version de Philippe Léotard, mais je peux imaginer, c’etait un texte pour lui. Je vais chercher.

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